- GHANA (EMPIRE DU)
- GHANA (EMPIRE DU)L’Empire du Gh na (VIIIe-XIe siècle), ancien État de l’Ouest africain situé entre le Niger vers l’est et le Sénégal à l’ouest, occupe une grande place dans la conscience de l’Afrique contemporaine, comme symbole des gloires passées avec lesquelles on veut renouer, au-delà des humiliations de l’ère coloniale. Il était pourtant presque oublié par la tradition orale, et les historiens ne parviennent à l’évoquer qu’avec beaucoup de peine, en raison d’une extrême pénurie de sources.On peut cependant affirmer que le Gh na a joué un rôle capital dans l’histoire des peuples noirs de l’Ouest africain. L’archéologie nous donne une idée de plus en plus précise des vieilles cultures agricoles qui ont évolué dans cette région, du Néolithique à l’âge du fer, durant les millénaires précédant notre ère (civilisation de Nok en Nigeria, du Dar-Tichitt en Mauritanie). Ces antiques paysanneries vivaient sans doute en villages indépendants, structurés en lignages dont la segmentation régissait la vie politique. De tels modèles ont subsisté jusqu’à l’ère coloniale dans une grande partie de l’Afrique (civilisations dites paléo-négritiques).L’État est cependant apparu au moment où le principe territorial l’a emporté sur le principe lignager, donnant ainsi une certaine autonomie au phénomène politique. Ce processus de centralisation a culminé dans la construction des empires: le Gh na en est le plus ancien exemple.Avec lui apparaît l’idée d’une monarchie sacrée dont le souverain, véritable incarnation de la divinité, est responsable aussi bien de l’ordre naturel (fertilité, fécondité) que de l’ordre politique, par le jeu des rituels. Ce système va triompher dans une grande partie de l’Afrique. Certains ont voulu chercher son origine dans l’Égypte ancienne, en invoquant certaines ressemblances avec la monarchie pharaonique, mais il n’est même pas prouvé qu’il y ait eu diffusion à partir d’une source unique. Les monarchies africaines étaient en effet fort diverses et ont pu marquer la réponse naturelle d’une société rurale parvenue à un certain niveau technique et confrontée aux problèmes d’une différenciation sociale accrue (développement de l’artisanat et du commerce à longue distance).Pour le Soudan occidental en tout cas, le Gh na a été le premier modèle de construction impériale. Les hégémonies médiévales et modernes n’ont fait que le suivre sur sa lancée et c’est dans son cadre que s’est cristallisée la civilisation originale qui fleurit toujours sur les rives du Sénégal et du Niger (civilisation dite néo-soudanaise).Le contrôle des routes de l’orLe Gh na n’est connu que très imparfaitement, grâce aux renseignements, souvent difficiles à interpréter, des anciens géographes arabes (VIIIe-XIe siècle), à de vagues allusions dans des textes ultérieurs (XIIe-XVIIe siècle) et enfin à des traditions orales, qui sont très schématiques en raison de l’ancienneté des événements auxquels elles se rapportent. L’archéologie devrait assez vite augmenter nos connaissances si elle n’était pas entravée par des difficultés financières.L’État du Gh na, d’après les plus anciens témoignages, reposait sur le contrôle des routes commerciales, spécialement celles de l’or. C’était à vrai dire, pour les Arabes, le pays par excellence de cet or soudanais dont le rôle allait être essentiel dans l’économie de l’Islam méditerranéen et de l’Europe médiévale. Or le commerce transsaharien, animé par ce métal précieux, est resté insignifiant pendant l’Antiquité et n’a été organisé par les caravaniers musulmans qu’à partir du VIIIe siècle. C’est alors qu’apparaît, dans le sud du Maroc, la métropole commerciale de Sidjilmassa, homologue d’Awdaghost et de Gh na, situées sur l’autre rive du désert.Il est vraisemblable qu’avant le VIIIe siècle les populations noires riveraines du Sahara vivaient d’agriculture jusqu’au 18e degré de latitude nord, alors que le dessèchement les a fait, depuis lors, reculer jusqu’au 14e. Les différenciations sociales étaient peu marquées et l’esclavage insignifiant, mais il est probable qu’existaient déjà des castes professionnelles liées à un artisanat ancien et actif (forgerons, potiers, vanniers et, plus tard, cordonniers, tisserands et teinturiers).Depuis la diffusion du chameau, dès l’époque romaine, ces cultivateurs noirs subissaient la pression des grands nomades berbères du Sahara, qui se transformèrent, aux VIIIe et IXe siècles, en caravaniers musulmans. Dans la région considérée, il s’agissait des Sanhadja, lointains ancêtres des Maures, dont le domaine s’étendait de la boucle du Niger aux rives de l’Atlantique.L’ouest du Sahel, rivage méridional de la «mer» saharienne, joua un rôle primordial dès l’instant où le commerce s’organisa. Il était en effet le point d’aboutissement des caravanes venues du Sud marocain en contournant par l’ouest l’obstacle du Majabat al-Kubra. En outre, de là, les pistes divergeaient soit vers le sud-ouest en direction du haut Sénégal, soit vers le sud-est pour gagner le haut Niger. Cette région, alors fertile, correspond au Hodh des Maures, appelé Wagadu par les Noirs. Elle était occupée par le plus septentrional des peuples de langue mandé, les Soninké ou Sarakholé, qui forment encore au XXe siècle un groupe ethnique important, partagé par les frontières coloniales entre les républiques du Sénégal, de Mauritanie et du Mali.Un empire militaireC’est vraisemblablement dans le courant du VIIIe siècle, du fait de l’impact de l’islam (expédition militaire de Habib ben Ab 稜 Ubaida en 734) et de l’afflux des commerçants arabo-berbères, qu’un État s’y construisit. Le caractère païen que garda cette monarchie rend fragile l’hypothèse de la conquête par une minorité blanche. Il est probable que le clan soninké des Sisé, sans doute précocement lié aux étrangers, prit en charge le contrôle des routes commerciales et fonda ainsi son pouvoir politique. La résidence de son chef semble avoir varié, mais la tradition médiévale lui attribue le nom de Kumbi et c’est sans doute à Kumbi Saleh qu’elle est restée fixée le plus longtemps.Gh na a peut-être été l’un des titres du souverain du Wagadu, cependant le fait n’est pas assuré. L’explication la plus vraisemblable de ce mot est qu’il provient du berbère agane désignant la brousse, dont la maigre végétation s’oppose aux étendues dénudées du désert. Il évoquerait donc parfaitement le pays sahélien des Soninké. C’est en tout cas ce nom qui a donné naissance au Moyen Âge à celui de Guinée, dont l’acception fut bientôt étendue aux pays humides et forestiers du Sud.L’État qui se forma ainsi était essentiellement militaire et sa puissante cavalerie lui assura une prépondérance écrasante sur les masses paysannes qui ignoraient encore toute organisation étatique. L’autorité des conquérants paraît s’être rapidement étendue sur tout le Sahel, entre le haut Sénégal et le haut Niger d’une part, le Sahara et la latitude de Bamako de l’autre. Vers le nord-ouest, sur la route des caravanes, les populations noires et berbères coexistaient dans le Tagant et l’Aouker, où avait grandi le centre commercial d’Awdaghost, qui correspond à peu près certainement aux ruines de Tegdawst. De ce côté, les Sanhadja, tardivement convertis à l’islam, étaient peu disposés à se soumettre. Profitant de leurs dissensions, le souverain du Gh na réussit pourtant, vers 990, à occuper Awdaghost et à leur imposer son autorité. L’empire à son apogée avait ainsi atteint son extension maximale.En raison de son étendue et de la domination militaire qu’il a exercée, il paraît légitime d’employer le mot d’empire pour désigner le Gh na. Il s’agissait d’un État soninké, car son homogénéité ethnique paraît avoir été très grande; les seuls éléments allogènes étaient les commerçants arabo-berbères et, probablement, des pasteurs peuls. Ses structures étaient typiquement africaines, l’influence étrangère ayant seulement servi de catalyseur. Le peu que l’on en sait évoque l’une de ces monarchies sacrées qui sont communes en Afrique. Le souverain fondait son pouvoir sur le culte d’un dieu-serpent, le Wagadu-Bida, qui subsiste dans la tradition orale moderne. Il portait le titre de kaya-magan , c’est-à-dire «maître de l’or», ou celui de tunka , qui sert toujours aux chefs des Soninké. Il appartenait sans doute au clan des Sisé et ses dépendants formèrent celui des Tunkara, encore fort répandus.On ignore à peu près tout de l’organisation de l’empire, mais il semble acquis que l’idée d’État a connu alors une diffusion considérable. Des royaumes subordonnés se sont constitués surtout dans les marches frontières, particulièrement dans le Sud, où allait bientôt apparaître le Mali. La différenciation de la société s’est accentuée: un groupe de clans nobles, les Wago, entourait le souverain, l’esclavage occupa alors les positions qu’il a conservées dans la civilisation dite néo-soudanaise jusqu’à la colonisation.Commerce et islamCette civilisation, qui a marqué profondément l’Ouest africain, est en effet le principal héritage laissé par le Gh na. Elle est caractérisée avant tout par le rôle qu’y jouent le commerce et l’islam.Toutes les descriptions insistent sur la dualité de la capitale, partagée entre la ville animiste du kaya-magan, construite en terre, et celle des commerçants musulmans, construite en pierre selon des normes nord-africaines. Les grandes fouilles de Tegdawst donnent à présent une idée précise de la vie de ces antiques cités caravanières. Des musulmans étrangers occupaient une place importante, mais bien délimitée, au sein d’une société globale qui restait foncièrement animiste.La présence de ces musulmans a servi de catalyseur à un développement majeur: l’organisation du commerce à longue distance à travers cette Afrique soudanaise qui l’avait jusque-là pratiquement ignoré. Le Gh na avait la réputation d’être le pays de l’or parce qu’il était maître de tous les débouchés des pistes sahariennes, mais aucune zone d’orpaillage n’existait sur son territoire. Le minerai était extrait plus au sud, dans le Bambugu (Bambouk), sur le haut Sénégal, ou dans le Burè, sur le haut Niger, mais les intermédiaires soninké étaient seuls en mesure de fournir le métal précieux aux caravaniers qui attendaient dans les villes du Sahel. Ainsi apparut, au sein de ce peuple, un groupe spécialisé dans le commerce à longue distance, et qui s’islamisa au contract de ses clients arabo-berbères; ce sont les Marka, plus connus sous le nom de Dyula. Déracinés, mobiles, individualistes, ceux-ci furent le ferment de la nouvelle société, particulièrement chez les peuples de langue mandingue (Bambara, Malinké). En peu de siècles, ils organisèrent un remarquable réseau commercial jusqu’aux portes de la forêt, où ils allaient chercher des noix de kola, cet excitant nécessaire aux Soudanais. En outre, ils partaient vers le centre de la boucle du Niger et jusqu’aux rives du golfe de Guinée en quête de nouvelles mines d’or. Les Dyula se rendirent indispensables dans tous les empires soudanais et créèrent partout des noyaux islamisés. La diffusion de leurs noms de clan, typiquement soninké (Sisé, Silla, Turé, etc.), illustre le désenclavement des nombreuses ethnies de l’Ouest africain. Abandonnant leur langue d’origine, ils se sont plus ou moins identifiés au grand peuple mandingue qui, jusqu’à la colonisation, domina la scène du Soudan occidental. Dans ces régions, leur histoire est inséparable de celle de l’Islam noir.Les Almoravides et la chute du Gh size=5naLa domination du Gh na avait irrité les Sanhadja qui se sentaient frustrés au moment où le triomphe des F レimides suscitait une grave crise morale dans l’Islam occidental. On comprend donc que ces Berbères aient adhéré avec ardeur à la réforme orthodoxe de ‘Abd All h ben Y s 稜n (1042). Inspirés par cet ascète, ils entrèrent dans la guerre sainte, créant ainsi l’empire des Almoravides (al-Mur bi レ n , «ceux du ribat » ou couvent militaire). Si le gros de leurs forces s’orienta vers le Maroc et l’Espagne, ils n’épargnèrent pas leurs adversaires soudanais. Les Soninké furent ainsi chassés d’Awdaghost en 1054 et le tunka Bassi, ami notoire des musulmans, fut remplacé en 1061 par son neveu Menin, qui incarnait l’intransigeance animiste. Ce dernier fut tué quand la capitale tomba aux mains des musulmans, en 1076. Appuyée par certains États noirs déjà islamisés comme le Tekrur (Sénégal), la domination des Almoravides s’étendit alors largement sur le Sahel soudanais. Restée pourtant fragile, elle s’effondra peu après 1087, quand son chef Ab Bakr ibn ‘Umar fut tué au combat.Dès le début du XIIe siècle, les peuples noirs s’étaient donc affranchis, et particulièrement les Soninké, mais l’empire du Gh na était bien mort. Les Soninké constituaient désormais de nombreux petits États dont le Gh na se distinguait seulement par une nouvelle dynastie musulmane, alors que partout ailleurs la classe politique demeurait animiste. De plus, l’idée d’État qui avait triomphé chez eux s’était largement diffusée à travers les savanes soudanaises. Les Soninké subirent ainsi l’hégémonie du Sosso au XIIe siècle, puis celle du Mali du XIIIe au XVe, enfin celle du Songhay.Cependant, le déssèchement des franges nord du pays obligeait les cultivateurs à se replier, abandonnant leurs terres aux nomades, tandis que les routes caravanières se détournaient vers la boucle du Niger dans l’Est (Oualata, Tombouctou) et le bas Sénégal dans l’Ouest. C’est ainsi que le Gh na disparut obscurément, relayé par un nouveau royaume soninké, celui de Dyara, qui connut quelque puissance au XVIIe siècle avant de subir l’hégémonie des Bambara, puis des Toucouleurs (XVIIIe-XIXe siècle).Les Soninké et surtout des Dyula ont quitté nombreux ce pays appauvri, qui devenait marginal car, dès le XIIIe siècle, l’axe de la civilisation soudanaise s’était définitivement établi sur le cours du Niger. Ces émigrés ont vite perdu leur personnalité en adoptant la langue mandingue, mais leurs descendants ont continué à jouer un rôle de ferment. L’un des plus illustres a été Samori Turé, dans la seconde moitié du XIXe siècle.Le rôle du peuple soninké a été fondamental dans la formation de la civilisation soudanaise. Ce n’est pourtant pas en s’inspirant de ce fait, mais en adoptant une interprétation abusive de l’origine des peuples akan (Ashanti, Baulé, etc.) que le président Nkrumah a rejeté en 1957 le nom colonial de Gold Coast au profit de celui de Gh na. Il eût été préférable d’invoquer simplement sa volonté de lier l’émancipation de l’Afrique moderne aux souvenirs de ses gloires les plus anciennes.
Encyclopédie Universelle. 2012.